Les tiers-lieux fonctionnent à l’énergie de ceux qui les font vivre et de leurs engagements. Laboratoires d’une société plus résiliente, leurs espaces et leurs aménagements explorent les possibilités de l’économie circulaire, c’est-à-dire créer, produire et de consommer 100% responsable, à partir de matériaux et d’énergie recyclés.
Les tiers-lieux sont multiples, protéiformes, éclectiques. « Un espace de co-working avec un café, c’est un peu le niveau 0 du tiers lieu », s’amuse Auriane Dumesnil, cheffe de projets sensibilisation pour l’association parisienne Les Canaux, figure de proue de l’économie circulaire en France. Le terme né aux États-Unis dans les années 80 est aujourd’hui un vrai fourre-tout. Construit par opposition à la maison et à l’entreprise, respectivement premier et deuxième lieux, il a d’abord fait référence à un espace où on se regroupe de manière informelle. Une définition large qui permet à la chaîne Starbucks de définir ses boutiques comme des tiers-lieux. Si l’on peut refaire le monde autour d’un café, l’enseigne américaine est loin des ambitions des tiers-lieux du XXIe siècle.
L’humain au cœur des projets
Les tiers-lieux peuvent différer par leur vocation et les formes de leur hybridation. Dans tous les cas, « leur point fort est qu’ils mettent l’humain au centre, commente Auriane Dumesnil, tout est fait pour que l’on s’y sente bien et que ce soit aussi respectueux de l’environnement ». Espaces de coworking qui proposent de nouvelles façons de travailler et favorisent l’échange, tiers-lieux numériques installés dans des territoires éloignés des nouvelles technologies où on apprend ensemble, collectifs créatifs et novateurs organisés autour de FabLab et d’ateliers… Quelles que soient les motivations, ils apparaissent comme une promesse de coopération fructueuse, d’innovation. Dans un contexte de transformation de la société et d’émergence de nouvelles aspirations des individus, les préoccupations environnementales animent la plupart ces lieux. En France par exemple, Sinny&Ooko, Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale, s’est donné pour mission de développer l’organisation de la transition écologique au niveau local. À travers son « campus », elle propose aide et conseils à d’autres projets de tiers-lieux qui souhaitent promouvoir les outils d’une société plus durable. À Paris, elle gère La Re-cyclerie et la Cité Fertile dont les noms seuls dévoilent l’ambition.
Ré-investir, réutiliser, upcycler
Les deux lieux sont installés dans d’anciennes gares de Paris et de la région parisienne. Investir des lieux abandonnés, en jachère, c'est souvent l’acte fondateur, aussi économique que symbolique, de ces collectifs et organisations engagés. À Buenos Aires, le marché aux poissons, bâtiment des années 30, a fonctionné jusqu'en 1983, puis est resté fermé jusqu'à sa réouverture en 2001, avec l'inauguration du « Pescadito », le bâtiment fondateur du CMD, Centre métropolitain de design. Le lieu regroupe aujourd’hui un incubateur d’entreprises, un auditorium, des espaces pour des expositions, un FabLab, des ateliers de maroquinerie, couture, de fabrication de mobilier, une ludothèque… Un must. Des occupations parfois éphémères, mais marquantes comme celle à Paris, de l’ancien Hôpital Saint-Vincent de Paul pendant près de 5 ans par Les Grands Voisins. La quasi-totalité des installations qui accueillaient artistes, artisans, entreprises sociales et solidaires… ont été réalisées à l’aide de matériaux récupérés sur des chantiers de démolition. Ce tiers-lieux du 14e arrondissement est toujours un modèle pour beaucoup d’expériences qui se développent sur le territoire.
Faire circuler… l’économie circulaire
« Pour les nombreux tiers-lieux qui sont dans des friches, qui sont temporaires, l’idée est d’être à l’image des valeurs qu’ils portent. C’est fondamental de travailler le plus possible avec du mobilier récupéré, fait localement en économie circulaire », confirme Auriane Dumesnil. Soutenus par la Mairie de Paris, Les Canaux, implantés dans l’ancien centre administratif des canaux parisiens et situé en bordure du bassin de la Villette, sont plus qu’une vitrine de l’économie circulaire dans le domaine du mobilier et de l’aménagement des espaces. Réaménagés en utilisant 95 % des déchets liés à leur rénovation - jusqu’au plâtre ! - et recyclés ou réinventés par une vingtaine d’entreprises de l’économie circulaire et solidaire, ils sont équipés de meubles à base de matériaux de récupération. L’association expose, source, promeut l’upcycling et a constitué un catalogue de produits et de fabricants. « Contacter une personne pour les chaises, une personne pour les tables, ça demande plus de recherche, nous on le fait. Entreprises locales, start up… sont ainsi répertoriées », explique la jeune femme en charge de sensibiliser les organisations à ces questions. Depuis 2019, Les Canaux ont lancé, avec le soutien notamment des professionnels regroupés dans l’Ameublement français, le « Booster du mobilier circulaire », un programme d’accompagnement pour les fabricants qui veulent introduire le réemploi et l’upcycling dans leur modèle économique. Ces deux acteurs du territoire viendront présenter leurs nouveaux projets et exposition sur le parcours Work du salon Maison&Objet en septembre.
« Ils ont souvent des ressources énormes avec ce qu’ils ont en déchets, les chutes de ce qu’ils produisent d’habitude, ils voient ici qu’ils ont de la valeur », poursuit Auriane Dumesnil. Après avoir attiré surtout les start-up, le programme intéresse aujourd’hui des PME du meuble de taille industrielle. Car il est aujourd’hui possible de meubler et aménager ainsi des espaces à grande échelle, avec des matériaux qui respectent les normes exigeantes des bureaux, des collectivités et les lieux qui accueillent du public. Pour les JO de 2024 qui se tiendront à Paris, le comité olympique local est venu s’inspirer et se documenter… aux Canaux.